mercredi 23 avril 2014

Ni pour Poutine, ni pour Obama... surtout pas Obama !

Publié initialement sur Facebook le 22 avril 2014

Pour répondre à certains interlocuteurs dubitatifs ou engagés, je ne pense pas que l'Ukraine ne soit qu'un enjeu énergétique mais que c'est un objectif stratégique, toujours visé par les empires du moment (Mongols, Ottomans etc...) Cette dimension stratégique s'exprime surtout depuis la fin du XVIII° siècle où déjà l'Empire de la mer (Angleterre) s'oppose à l'empire de la mer (Russie) pour le contrôle de la Mer Noire. Robert Steuckers, Aymeric Chauprade, Alain de Benoist, pour ne citer qu"eux, ont récemment réalisé des synthèses intéressantes de cette crise, car éclairées par l'Histoire d'un affrontement de deux stratégies : d'un côté celle du "containment" (encerclement de la Russie) menée aujourd'hui par les USA et leurs laquais de l'UE, et de l'autre côté la stratégie de la "Novorossiya" (Russie nouvelle) restauration impériale, évoquée par Poutine la semaine dernière.


LA STRATÉGIE DE L’ENCERCLEMENT, UNE VIEILLE HISTOIRE...

Parallèlement à une stratégie de renversement des régimes fermés à leur politique économique libérale (Irak, Libye, Egypte...) les USA mènent une politique d'encerclement militaire et d'étranglement économique de la Russie, (mais aussi des pays de la BRICS). 

Ce sont les anglo-saxons et les américains eux-mêmes qui l'expliquent dans leurs différents rapports, quand est étudiée la possibilité (et la nécessité) d'encercler la Russie, depuis celle de Catherine II jusqu'à celle de Poutine. Cette dynamique d'encerclement a été gelée pendant la guerre froide la confrontation se jouant plutôt dans le cadre de la décolonisation des pays du sud. A la chute du mur les forces ont été libérées et surtout depuis la restauration de la Russie par Poutine. 

Puisque certains me demandez d'étayer, il suffit d'aller lire entre autres : le rapport "Russian armement" écrit en 1791 (Memoirs of the life of William Pitt, page 407), ou la stratégie du "Heartland" défendu par Halford John Mackinder en 1904 dans son essai "The géographical pivot of History" 
Ces stratégies sont axées sur un protectionnisme de la stratégie anglo-saxonne, véritable thalassocratie qui cherche a empêcher le bloc continental représenté par la Russie de s'étendre vers la méditerranée (depuis la chute de l'empire ottoman). 
Même le quotidien américain New York Times a rapporté dans son édition du 19 avril que la Maison Blanche qui avait pris la décision de revoir ses rapports avec la Russie, envisageait un retour à la « politique de l'endiguement ».


LE PIVOT STRATÉGIQUE

Les USA vont reprendre à leur compte cette politique du "containment" de la Russie surtout à partir les mandats de Clinton, très bien expliquée dans le livre de Zbigniew Brzeziński, conseiller de Jimmy Carter, "Le grand échiquier" 'que j'ai déjà cité et où il expliquait (reprenant l'analyse de Mackinder jusque dans son vocabulaire) le rôle de "l’Ukraine, essentielle avec ses cinquante-deux millions d’habitants et dont le renforcement de l’indépendance rejette la Russie à l’extrême est de l’Europe et la condamne à n'être plus, dans l'avenir, qu’une puissance régionale". 

La Russie a travaillé pour renouer les relations avec une Ukraine indépendante et préserver son accès à la Mer Noire, "pivot stratégique vers la Méditerranée", dont on peut mesurer l'importance stratégique dans les aides économiques accordées à l'Ukraine en échange de la flotte russe de Crimée. Ainsi, l’Ukraine bien qu’indépendante indépendante continuait à jouer son rôle de « glacis de l’empire » et de porte commercial vers le sud. Les USA et L’Europe présents en Ukraine depuis la fin de l’URSS (ONG, Contrats économiques etc…) ont cherché a raccrocher l’Ukraine au système économique libéral occidental. Ils y sont presque arrivés mais le gouvernement du faible Ianoukovitch s’est rétracté au dernier moment (sous une pression russe très certainement) et plus tard en signant l’accord douanier avec Poutine, le poisson a définitivement échappé au filet de l’UE mais a aussi gravement pénalisé ses barons ukrainiens comme le milliardaire Piotr Porochenko, qui n’a rejoint euro-maïdan qu’un fois ses intérêts financiers diminués par le nouvel accord.


UN PAYS DIVISE

Si on regarde les résultats des dernières élections ukrainiennes, on voit déjà la division qui éclate aujourd’hui entre le Sud Est, majoritairement russophone et slave et le Nord Ouest, majoritairement catholiques et historiquement rattaché à l’héritage austro hongrois avec notamment le bloc polono-lituanien. Pour être juste il faudrait rajouter ici la sud du pays qui a quant à lui un héritage également lié à l’Empire Ottoman qui avait occupé les berges de la Mer noire (d’où la présence de communautés musulmanes comme les tatars) 

Cette division historique est réelle et la jeune Ukraine indépendante aurait même pu en profiter devenant un trait d’union entre l’Europe Orientale et l’Europe Occidentale, si les clans oligarchiques, ne s’étaient pas battus entre eux le butin de ses ressources depuis 25 ans. La corruption est la règle depuis le gouvernement Kravtchouk jusqu’à Ianoukovitch , avec les même chiens qui tournent autour et veulent leur os à ronger coûte que coûte. Ainsi de Timochenko aux affaires » depuis 1991, trempant dans quasi tous les gouvernements et plusieurs fois condamnée pour contrebande falsification, abus de pouvoir etc... (je suis d’accord les « autres » ne valent guère mieux) ou de Iatseniouk , qui en 2010 n’avait obtenu que 6,96% aux élections !


UN GOUVERNEMENT QUI NE REPRÉSENTE QUE LUI-MÊME ET LES INTÉRÊTS OCCIDENTAUX

On voit bien que l’équipe intérimaire ne pouvait espérer gagner démocratiquement les prochaines élections, car ce sont des « louseurs ». La stratégie étasunienne s’est appuyée sur ces opposants pour déléguer un renversement de pouvoir, préférant la stratégie du chaos au développement d’un pays indépendant et politiquement fermé et bien entendu une restauration de l’empire russe.

L'histoire nous apprend que la belle spontanéité des révolutions n’existe que dans leurs historiographies. Les USA après l’enlisement de l’Irak ont repris la stratégie testée en Afghanistan à savoir armer des minorités extrémistes pour déclencher une résistance armée. Concernant l'Ukraine je me ferai, dès que possible, un plaisir de revenir sur l’insurrection, la formation de certains activistes (source polonaise) la chronologie des victimes (civiles et policières), et l’affaire des tireurs dont la vérité commence à émerger des fumées de la place Maïdan (voir par exemple ce reportage d’investigationle lien : ICI
Mais aujourd'hui, l’Histoire se joue dans le Donbass.

Un élément intéressant, c'est la précipitation avec laquelle Kiev et les USA-UE signent des contrats économiques à long terme, précipitation qui ne fait que révéler la nature du coup de force réalisé sur la Maïdan en février et ses vrais objectifs. Car la logique voudrait que ce gouvernement, qui n'a aucune légitimité populaire et dont l'action principale a été de renverser Ianoukovitch, et de restaurer un ordre (très relatif) en Ukraine, la logique voudrait qu'il se contente d'organiser les élections et laisse à l'équipe suivante et élue, le soin de mener les réformes.
Et bien non, il signe a tout va les contrats que lui présentent les technocrates de l'UE ou les commerciaux du FMI, comme s'il savait son aventure politique éphémère... "Profitons-en !" et en échange l'OTAN avance ses pions en Ukraine et renforce ses autre pièces en Europe.


LE DOUBLE STANDARD

On nous parle du gaz ici, et du pétrole là, et bien entendu les réserves énergétiques sont souvent au cœur des enjeux mais pas seulement et avec des proportions variables. Je reste persuadé que l’Ukraine est d’abord un enjeu géostratégique et pour les deux parties : l’OTAN qui depuis 1990 mène une politique offensive d’encerclement et la Russie qui veut restaurer sa souveraineté pan-slave en mer Noire, fruit de 3 siècles d’histoire…

Ce que je ne supporte pas, c’est la mentalité du « 2 poids 2 mesures » ou « double standards » pratiquée par l'Occident. Ainsi du coup d’Etat du Maïdan qui serait légitime parce que populaire (entre 50 000 et 100 000 manifestants) quand le soulèvement de la majorité des villes du Donbass ce ne serait qu’une action « terroriste » excitée par des unités spéciales russes. Idem du référendum du Kosovo, sous haute surveillance militaire qui est légal quand celui de la Crimée est inadmissible ou celui du Donbass inacceptable… 

Côté Est ukrainien, il y aurait des unités spéciales russes, les fameux « petits hommes verts dont tout le monde parle dans les chaumières… Pourquoi pas et même certainement car se serait stupide de la part de la Russie ne pas utiliser toutes les ressources de renseignement civiles ou militaires pour surveiller sa zone immédiate d’influence. (pour la Crimée, la présence de l’armée russe était légale conformément aux accords de la flotte de la mer noire autorisée a stationner jusqu’à 25000 hommes sur la péninsule). 
Côté Kiev, par contre, il n’y aurait pas d’unités spéciales américaines, c'est faux, il y a en a comme par exemple l’unité de drones qui s’est déplacée de Pologne et qui a eu un appareil (à faible rayon d’action) abattu en Crimée (point abordé lors de la première rencontre entre Lazrov et Kerry en mars) ; Maintenant, soyons sérieux, quelle différence existe-t-il entre un soldat d’une armée privée de sécurité dont le boss prends ses ordres auprès des faucons de Washington et un GI’ de l’USMC dont le commandement obéit aux mêmes faucons ?
Les seules différences sont le salaire du soldat et la responsabilité diplomatique de Washington.

Alors on arrive à des mensonges grotesques, comme les derniers en date qui consiste à attribuer aux « petits hommes verts » de Moscou l’attaque du point de contrôle de Slaviansk, (5 morts) tandis que les observateurs de l’OSCE et la presse visitaient les activistes du Maïdan capturés sur place ! ou que la République autoproclamée du Donbass allait procéder à un recensement des juifs etc...


CONCLUSION

Donc pour terminer avec cette réflexion d'européen dont je vous prie d'excuser la longueur, je pense que dans tout conflit de ce genre, les mêmes méthodes et les mêmes armes, sont utilisées par tous, et elles offrent des aspérités médiatiques aveuglantes. 

Il est important me semble t'il, pour comprendre les enjeux et les menaces, de quitter le domaine de la tactique et de la communication, pour tenter d'aborder la dimension stratégique et historique, pour définir qui tire les ficelles et à quel système profite les énergies humaines déployées, souvent avec une sincérité généreuse qui n'a d'égale que l'hypocrisie cupide des gouvernements.

Alors on peut revisiter le champ tactique avec un autre regard plus critique et juste.

Ce que je retiens, c'est que ’Europe est d'ores et déjà la grande perdante de ce bras de fer qui dépasse ses frontières éclatées… car alignée sur Washington elle n'est plus qu'un toutou aphone et affamé qui répète les mensonges de son maître... et cela m'attriste de voir cette puissance n'être même plus l'ombre d'elle même. 

Je me sens orphelin, et ni Poutine ni les Obama ne me représentent, mais surtout pas Obama !

Et, même si des cercles d'idées et des mouvements de pensée existent et cultivent l'espérance dans nos cœurs hyperboréens, si demain le choc de l'Histoire m'oblige à choisir entre la mer occidentale et la terre orientale, alors je choisirai le rocher solide plutôt que la vague changeante, car l"Europe est continentale avant tout et partage une histoire et des traditions communes avec l'Eurasie voisine....

A Cayenne le 23 avril 2014

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